La Crise du PPA-MTLD en 1954 (Messalistes vs. Centralistes): Comprendre la plus grande crise du mouvement national algérien

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2- Message de Messali Hadj au Peuple Algérien: Pourquoi ai-je retiré ma confiance au comité central

            "Ne pouvant être parmi vous et vivre votre vie, vos souffrances et la lutte que vous menez avec tant de courage et d’esprit de sacrifice, je profite de m’entretenir avec vous par le moyen de ce message pour vous communiquer ma pensée, mes idées et mes conceptions sur la marche du Parti.

Depuis mon dernier message il y a lieu d’abord de nous réjouir pour le travail de redressement qui s’est opéré en France, en Algérie et en Belgique. Nous pouvons dire que toute la Fédération de France est aujourd’hui hors de l’emprise de la bureaucratie, il en est de même en Algérie où la situation est complètement rétablie malgré un travail de division et de sape organisés par les bureaucrates qui se sont éparpillés dans tout le pays pour faire du travail fractionnel et de désorganiser le parti aux applaudissements du colonialisme.
Depuis le 28 mars 1954, date à laquelle la direction a été chassée par les militants, le Parti a dû faire face à une offensive de la bureaucratie pour reprendre ses privilèges et ses postes de commandement.

C’est pour vous expliquer pourquoi j’ai retiré ma confiance au CC que je m’adresse à vous pour vous dire jusqu’où est allée la bureaucratie afin de jeter le Parti dans le désarroi, la honte et la division. Par la même occasion je vous dirai tous les agissements auxquels s’est livré le CC à qui je viens de retirer ma confiance.

Comme je vous l’ai dis, la journée du 28 mars a été la fin d’un grand cauchemar et le début d’une ère nouvelle qui a été joyeusement saluée et fêtée par tous les militants. Mais la bureaucratie pour qui la journée du 28 mars a été une réédition de la nuit du 4 aout ne l’entendit pas de cette oreille. Aussi, dès le lendemain de cet évènement, le CC a allié son sort à celui de l’ancienne Direction pour fomenter contre le Parti toutes les entraves et les complots pour l’empêcher de poursuivre son œuvre d’épuration et de renforcement.
Tout d’abord dès le départ de la Direction, le CC contrairement aux Statuts du Parti c’est arrogé le droit de prendre le pouvoir et de s’accaparer des fonds du Parti qui se chiffrait par dizaines de millions, des machines, de la documentation, des archives, des voitures et du matériel.

En France, la même opération a été faite avec en plus le sabordement des archives et du matériel du Parti.
Le CC avait soudoyé tout le cadre du Parti et l’a incité à faire la besogne de la cinquième colonne dans les rangs du Mouvement National Algérien.

D’autres part, tous les membres du CC ont décidé d’un commun accord avec les dirigeants de l’ancienne direction de se disperser dans tout le pays, de même qu’en France et en Belgique pour faire un travail de sape, de désorganisation en vue de paralyser l’œuvre de redressement et démontrer à l’opinion publique l’incompétence de la nouvelle direction.
Et pour accentuer et précipiter ce travail de désintégration, les membres du CC ont contrairement aux Statuts du Parti, abandonné leurs postes et les responsabilités qu’ils assumaient dans les différents services du Mouvement National Algérien ; ainsi donc ils ont abandonné le journal  L’Algérie Libre, Sawt El Djazair et la parution du Bulletin Mensuel.

D’autre part, non seulement ils avaient abandonnés leurs postes pour paralyser toutes les activités mais encore ils se sont organisés de façon à entrainer les militants, les kasmas et l’ensemble du cadre du parti à la désobéissance, au blocage des fonds et au désordre.
Tous les membres du CC y compris la direction qui a été chassée ont organisé et participé à cette besogne inqualifiable avec les millions du Parti.

C’est ainsi que Hocine Lahouel est allé en France où il est resté plus de 3 semaines pour diriger cette désorganisation.
Parallèlement à cela, Demaghelatrous, El Mesteri, Bel Kébir, Zoubir, Moussa Boulkeroua, Boul Ahrouf sillonnaient toutes les villes de France pour stimuler leurs chaouches pour entrainer les militants à la désobéissance et aux blocages de fonds.
Les chaouches pour les mettre au travail avec beaucoup d’entrain ont été payés cinq mois d’avance.
Zoubir qui était sorti comme par enchantement de sa prétendue clandestinité, s’est jeté à corps perdu dans les milieux estudiantins et commerçants pour les entrainer dans le sillage de la bureaucratie.

En France comme en Algérie, les bureaucrates ont créé des publications qui ne sont que mensonges et malfaisances en vue de semer le désordre et la confusion dans les rangs du Parti.
Ces derniers, qui étaient complètement enlisés dans le réformisme et l’opportunisme sont devenus comme par miracle des nationalistes extrémistes. Telle est la littérature de leur fumeuse publication du Patriote et du militant.

Ce n’est pas tout, le CC, qui a pris la place de la Direction, a non seulement accaparé l’argent du Parti ainsi que tous les biens, meubles et immeubles mais encore il s’est arrogé le pouvoir de même qu’il a pris certaines décisions contraire aux statuts.
C’est ainsi qu’il s’est réuni illégalement le 27 février 1954 sans avoir prévenu le Chef du Parti, conformément aux statuts. Au cours de cette réunion il a démit Mezerna et Moulaye de leur fonction de Président et de Vice-Président du Comité Central parce que ces derniers ont refusé d’assister à cette réunion irrégulière.
Non content d’avoir violé les statuts, le CC s’est réuni une deuxième fois illégalement les 22 et 23 mai sans avoir au moins averti le Président comme l’exige les statuts.

Ce qui est plus grave encore ce sont décisions qui ont été prises au cours de cette dernière réunion, décisions qui ont été rendus publiques sans que le Chef du Parti en soit averti.
Toutes ces réunions irrégulières, les décisions qui ont été prisent à l’insu de la direction provisoire et du chef du parti sont autant d’actes d’hostilités au redressement du Parti et à la préparation du congrès.
Tous ces agissements n’étonneront plus les militants et le peuple Algérien quand ils sauront que le CC à qui je viens de retirer ma confiance, n’était qu’une caricature de l’ancienne Direction qui a conduit le Parti à l’immobilisme.
Les membres de ce CC qui ont été choisis sur le volet et installés par ruse et camaraderie au sommet du Parti ont de tout temps approuvé la politique de l’ancienne direction et cela malgré mes nombreux rapports et mes protestations plusieurs fois renouvelées depuis voici 3 ans.

Certains membres de ce CC étaient inconnus du Parti et n’ont jamais éprouvé, ni assumé de sérieuses responsabilités. Il y a dans ce choix de la camaraderie, du favoritisme et de l’esprit de bureaucratisme. Ce choix s’effectuait pendant que la chasse était faite systématiquement aux vieux militants qui avaient consacré leur vie au service de la Cause Algérienne.
Il se dégage de tout cela que l’attitude du CC est déterminée par son choix, son installation au sommet du Parti et sa gratitude à l’égard de la bureaucratie de qui elle détient les postes de commandement.
En un mot, le CC est l’obligé de l’ancienne direction qui en signe de reconnaissance a toujours soutenu sa politique de réforme et de compromission.

Le CC a été d’autant plus reconnaissant qu’il a jouait de beaucoup de faveurs et d’avantages sur le plan matériel découlant des choses municipales. En vérité les prétendues réalisations économiques et sociales qui ont perdu la tête des bureaucrates n’étaient que des faveurs octroyées à certains membres du CC et autres chaouches.
C’est ainsi que Bouda, Bouchakour, Réguimi Djilali, Dahlab et autres ont eu en récompense de leur soumission des appartements par la grâce de Monsieur Jacques Chevalier. D’autres faveurs, telles des billets pour l’opéra, des stades et les cinémas.
Sur le plan Parti, l’argent qui était déposé chez Bouda servait également à aider les « copains », à acheter des appartements sans que le Chef du Parti ne soit consulté sur de telles pratiques.

L’ancien Secrétaire Général Lahouel Hocine a pris 400 000frs dans la caisse du Parti pour acheter l’appartement qu’il occupe actuellement au 11 de la rue Marango.
Ce cas que j’ai appris il y a seulement quelques jours n’est pas le seul car la Direction et le CC n’ont jamais caché ces actes contraires à la discipline et aux statuts du Parti.
Si la bureaucratie a emporté les archives et les rapports financiers avec elle c’est pour éviter que le Congrès ne sache ses agissements et son règne de favoritisme.

Tout cela explique pourquoi le CC a d’une façon permanente soutenu la politique de facilité et d’abandon de la Direction.
Aussi, si le CC avait un tant soit peu de dignité, il aurait dû s’en aller dès que la Direction avait démissionnée. Mais celui-ci ne s’embarrassait pas de tant de scrupules et la vertu n’est pas son fort.
Enfin, pour bien s’imprégner de la malfaisance du CC, il suffit de nous rappeler l’expédition de Bouda en France et de sa tournée de propagande haineuse et ordurière à l’égard du chef du parti dans le Nord et toute la région parisienne. Celui-ci, qui n’a jamais manqué d’astuce pour commercialiser les principes islamiques, a palabré durant trois semaines sur la vie privée du chef du parti, de sa femme mourante et de ses enfants.

Alors que le Président du Parti posait le problème politique pour expliquer la déviation de la bureaucratie, les membres du CC y compris leurs chaouches avec Bouda en tête s’attaquaient à la vie privée de la famille Messali pour entrainer les militants sur un autre terrain que celui de la déviation qui est le fond de la crise.

Cette manœuvre déjà très vieille et très utilisée, n’a pas trouvé preneur car le peuple Algérien a déjà compris, il y a fort longtemps que la calomnie et les attaques personnelles étaient l’œuvre de fourbes et des incapables de tout acabit.
Pour la bureaucratie rien ne compte en dehors de ses privilèges et pour les conserver, elle a tout fait pour contrecarrer l’œuvre de redressement en vue de reprendre le pouvoir et les douceurs des discussions aimables et courtoises avec le néo-colonialisme.
Le CC est entièrement responsable de la situation catastrophique à laquelle est arrivée le Parti jusqu’à l’éclatement de la crise ; car ce dernier, au lieu d’accomplir sa mission de contrôle et de respect de la ligne politique du Parti, s’est laissé soudoyer par une direction qui a sciemment violé les principes révolutionnaires du Mouvement National Algérien.
Non seulement celui-ci a failli à son devoir en fermant les yeux mais encore il a pris fait et cause pour l’ancienne direction.
De juge et souverain qu’il était, il a endossé la tunique du partisan et de l’auxiliaire au service d’une bureaucratie en violation des lois du Parti en échange de certains profits.

Sa responsabilité est d’autant plus grande et que celui-ci a été mis en garde par de nombreux rapports et des envois de délégation qui lui ont expliqué de vive voix les dangers que côtoyait la direction dans sa mauvaise politique.
Les militants pourront prendre connaissance de tous ces rapports et constateront que tout avait été dit, expliqué et commenté pour attirer d’une façon particulière l’attention du CC.
Ce qui démontre l’aveuglement du CC c’est lorsque mon représentant lisait mes rapports devant lui, il les trouvait juste mais au moment du vote il donnait ses voix comme un fonctionnaire et non comme un contrôleur chargé par des militants de veiller à la bonne marche du Parti.

Plus d’une fois certains membres du CC venus à Niort m’ont affirmé la justesse de ma mise en garde et de mes recommandations, mais dès qu’ils prenaient contact avec la direction, ils finissaient par adopter son point de vue par ce qu’elle avait des moyens de pression sur ces derniers.
Il y a plus de 3 ans que j’ai prévenu le CC du développement de la situation internationale, de la crise française elle-même et de l’aggravation du problème nord-africain.
Toutes mes recommandations et mes analyses politiques étaient dominées par toutes ces questions.
Je voulais que notre parti soit à la hauteur de cette évolution internationale, française et maghrébine pour lier le problème algérien à tous les autres problèmes.

Tout ceci est écrit noir sur blanc dans tous les rapports que j’ai adressé au CC.
En vérité, tous ces problèmes et malgré leur envergure et leur importance ne les intéressaient nullement car ils étaient déjà engagés dans une politique de facilité qui avait été préparée de longue date dans les silences des bureaux de la place de Chartes et de la rue d’Enghin.

Ces pour toutes ces considérations que j’ai retiré ma confiance au Comité Central qui, outre ses manquements au devoir, s’est livré depuis 3 mois à dilapider les fonds du Parti pour tenter de jeter la confusion et le désordre dans les rangs du Mouvement National en vue de préparer le retour de l’ancienne direction.

Pour mettre fin à cette oligarchie, je fais appel à tous les militants et au peuple Algérien pour faire un bloc compacte autour du Parti afin de le protéger contre la bureaucratie qui a failli attenter à sa vie.
L’heure que nous vivons est certes pleine de gravité mais aussi elle laisse voir d’heureuses perspectives dans la mesure où nous savons l’utiliser. Le problème algérien doit sortir du cimetière où l’a plongé la bureaucratie.
Pour l’accomplissement de cette mission comptons sur Dieu pour être digne de notre passé historique et des martyrs de la cause algérienne.
En Avant !

Fait à Niort, le 3 avril 1954
MESSALI  HADJ
En résidence forcée.

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